Alors que le président Bassirou Diomaye Faye brillait au sommet de la CEDEAO à Abuja et que son Premier ministre Ousmane Sonko consolidait les relations stratégiques avec la Chine, Pastef continue d’occuper sans partage l’espace politique sénégalais. Une domination verticale, qui s’exerce de l’exécutif au législatif, et qui masque de moins en moins les premières fissures internes d’un parti désormais au cœur de l’État.
Pastef monopolise le débat… même en se parlant à lui-même
Sur le terrain politique, c’est moins l’opposition que Pastef lui-même qui occupe le champ des controverses. Les attaques les plus virulentes contre le pouvoir ne viennent pas de l’extérieur, mais bien de l’intérieur. En effet, le député Guy Marius Sagna a multiplié les charges publiques contre la gestion de l’Assemblée nationale, accusant son propre camp de pratiques contraires aux idéaux de rupture : distribution de « sukëru koor », subventions floues, billets de pèlerinage, et surtout un manque de transparence autour de l’acquisition de véhicules de fonction.
Ces critiques ont d’abord suscité la riposte du Premier vice-président de l’Assemblée nationale, Ismaëla Diallo, avant que plusieurs autres députés du groupe parlementaire Pastef ne viennent à la rescousse, dénonçant ce qu’ils perçoivent comme un populisme isolé et une stratégie individuelle de mise en avant de la part de Sagna.
Deux camps, une ligne de fracture
Ces tensions ont mis en lumière l’existence de deux tendances internes au sein de Pastef :
Un premier camp, proche de Guy Marius Sagna, qui revendique un droit d’alerte, une fidélité militante à l’éthique de rupture et une indépendance de ton,
Et un second, plus institutionnel, qui estime que l’heure est à la consolidation du pouvoir, à la cohésion du parti et à une communication plus maîtrisée.
Fait rare dans un parti présidentiel en exercice, Guy Marius Sagna lui-même a salué cette divergence dans un post Facebook publié dimanche, se félicitant d’être la preuve vivante que la démocratie existe dans Pastef. Un message à double tranchant, interprété par certains comme un défi lancé à la direction du parti.
L’opposition : absente, inaudible, invisible
Pendant que Pastef débat, attaque, se répond et se fragmente publiquement, l’opposition politique reste étrangement silencieuse.
Ni le Parti Démocratique Sénégalais (PDS), ni les figures de l’ex-coalition Benno Bokk Yakaar, ni même les leaders comme Khalifa Sall ou Barthélémy Dias, ne saisissent l’opportunité d’entrer dans l’arène, de structurer une contre-offensive ou d’occuper l’espace médiatique.
Ce mutisme interroge. S’agit-il d’une stratégie de repli, d’attentisme ou d’un aveu d’épuisement ? La réponse penche de plus en plus vers une impuissance structurelle, dans un contexte où l’alternance de 2024 a brutalement redéfini les rapports de force et les équilibres politiques.
Un pluralisme à l’intérieur du pouvoir ?
Le paradoxe est saisissant : la démocratie sénégalaise semble aujourd’hui plus vivante au sein du parti Pastef que dans l’opposition nationale.
Le pluralisme d’opinions, les contradictions assumées, les conflits de ligne, sont tous logés dans un même camp politique. Une situation inédite qui interroge sur la santé globale du débat démocratique.
Mais ce monopole du débat par le pouvoir n’est pas sans danger. Il risque, à terme, de concentrer toutes les contradictions sociales dans un seul et même parti, créant un déséquilibre institutionnel et une surcharge symbolique difficilement tenable. Sans opposition crédible et active, le jeu démocratique devient une boucle fermée, où le pouvoir se critique, se légitime et se corrige… tout seul.
L’urgence d’un sursaut démocratique global
L’agitation actuelle autour de Guy Marius Sagna est peut-être l’arbre qui cache la forêt. Le débat interne à Pastef est sain, mais il ne saurait suffire à maintenir une respiration démocratique nationale. L’opposition doit renaître, reconstruire une vision, assumer une parole critique, proposer une alternative. Sinon, le Sénégal risque de vivre une phase paradoxale où la démocratie existe sans alternance réelle de pensée, et où le pouvoir devient à la fois l’arbitre et le seul joueur du jeu politique.