Le scandale des finances publiques du Sénégal, couvrant la période 2019-2024, continue de livrer ses révélations fracassantes. Un référé confidentiel de la Cour des comptes, récemment transmis au ministre de la Justice, Ousmane Diagne, met en lumière cinq (5) affaires aux ramifications inquiétantes, bien au-delà de simples dysfonctionnements administratifs. Parmi elles, figure un reliquat non versé de 114 milliards de francs CFA issus d’un emprunt obligataire de 330 milliards, baptisé Sukuk SOGEPA2022, qui aurait dû servir à relancer l’économie nationale.
Selon des sources citées par L’Observateur, ce montage complexe a été initié par la Société nationale de gestion et d’exploitation du patrimoine bâti de l’État (SOGEPA), le 21 avril 2022. Pour garantir cette opération financière islamique (Sukuk), dix bâtiments publics emblématiques du centre-ville de Dakar ont été vendus à la SOGEPA pour 198,09 milliards de francs CFA, après un aval de la Commission de contrôle des opérations domaniales (CCOD), sans appel d’offres public.
Le mécanisme mis en place fonctionne comme un jeu d’ombres financiers : les immeubles cédés sont ensuite titrisés, loués à l’État lui-même, et les loyers versés servent à rémunérer les investisseurs du Sukuk. À l’échéance, ces biens sont censés être rachetés, clôturant ainsi la boucle du montage.
Mais les choses prennent une tournure plus sombre. La Cour des comptes, qui a mené des investigations approfondies avec la Division des investigations criminelles (DIC), a découvert qu’un virement de 247,33 milliards de F CFA a été effectué par la Banque islamique du Sénégal (BIS) vers un compte censé appartenir à l’État, intitulé « Relance de l’économie ». Problème : aucun dossier d’ouverture de compte n’a pu être retrouvé. Pire encore, les ordres de virement sont signés par le Directeur général du Budget (DGB) et non par le ministre des Finances, ce qui constitue une violation flagrante des procédures budgétaires.
Sur les 247,33 milliards versés, seuls 132,9 milliards ont été effectivement reversés au Trésor, dont 90 milliards après l’émission du Sukuk. Des flux suspects ont aussi transité par Ecobank, sans justification claire. Le reste, soit 114 milliards de francs CFA, demeure introuvable.
L’ancien ministère des Finances, sous Macky Sall, tente de justifier l’opération en évoquant la répartition des fonds : 198 milliards pour l’achat des immeubles, 49 milliards pour le rachat partiel des sphères ministérielles à Diamniadio, et des dizaines de milliards versés à Envol immobilier, en lien avec la sphère Ousmane Tanor Dieng. Mais cela ne répond pas aux zones d’ombre soulevées par les magistrats.
Face à la gravité des faits, la Cour des comptes a saisi le ministre de la Justice en vue de l’ouverture de poursuites pénales, évoquant des soupçons de détournement, de mauvaise gestion et de blanchiment d’argent public. Une affaire qui pourrait devenir le symbole d’une ère de gestion opaque des finances publiques, mettant à rude épreuve la crédibilité des institutions financières sénégalaises.